Manon et Sylvère : un tour de France à vélo pour découvrir les pédagogies alternatives !

S’enrichir en allant à la rencontre des autres. Manon et Sylvère ont choisi cette méthode pour apprendre et tirer le meilleur de la pédagogie ! C’est armé de leur vélo qu’ils sillonnent les routes de France pour un détour buissonnier riche en découvertes ! Manon est éducatrice spécialisée. Elle a essentiellement travaillé avec les gens du voyage. Sylvère, lui, vient d’une classe unique. Il est musicien et a souhaité transmettre sa passion en devenant enseignant. Le temps d’une halte à Saint Bonnet Le Châteaux, ils nous racontent pourquoi ils ont choisi de faire ce service civique original !

 

Pourquoi vous avez voulu réaliser cette mission en particulier ?

Manon : Sylvère et moi, on s’est retrouvé il y a quelques mois et on s’est mis à discuter de nos professions respectives. On s’est interrogé sur des problématiques qui se rejoignaient, notamment autour de l’institution et de nos professions. On s’est aussi questionné sur les difficultés qu’on rencontrait au sujet de l’insertion sociale et de l’exclusion scolaire. Pas mal de difficultés similaires ont émergées. Au-delà de ça, on s’est rendu compte qu’il y avait des personnes qui portent d’autres valeurs, d’autres projets. Elles essaient de mettre en place des initiatives différentes et innovantes dans le domaine éducatif. On a voulu comprendre ce qui marchait et voir quels outils on pouvait trouver. On a donc décidé de faire une pause dans nos professions pour faire une investigation dans le champ du social et de l’éducatif en France !

Sylvère : Pour ma part, au CEFEDEM (Centre de Formation des Enseignants de Danse Et de Musique), j’ai un peu retrouvé ce que j’avais connu dans mon école primaire coopérative en classe unique. Il y a une volonté de défendre ces pédagogies appelées « pédagogies nouvelles ». J’ai porté une réflexion à ce sujet, sur comment on peut faire bouger l’enseignement dans les écoles de musique ? Et puis, ce questionnement s’est étendu à qu’est-ce que la culture, comment on vit la culture, comment on la définit actuellement en France ? C’est la remise en question de ces éléments qui m’a fait procéder différemment dans mon enseignement. ça m’a amené beaucoup de questions, de difficultés. Manon abordait le point de l’institution : c’est ça qui nous a mené à ce projet ! Dans les écoles de musique, j’ai rencontré des barrières dès que je voulais faire autrement. Ce projet, c’est pour être capable d’inventer autre chose et d’être meilleur dans nos arguments !

 

Comment se passe votre voyage ? C’est compliqué d’un point de vu organisationnel ?

Manon : Non ce n’est pas compliqué, les gens sont très généreux de manière générale ! Ils entendent parler de nous et s’intéressent au projet, ils ont envie de nous rencontrer. Partout où l’on va, on a toujours eu une proposition d’hébergement. Ça fait 1 mois qu’on est partis et on n’a toujours pas sorti la tente ! Il y a une certaine hospitalité. Je pense que les gens sont sensibles au fait que l’on voyage à vélo.

Pourquoi avoir choisi de faire ce voyage à vélo, c’est une passion ?

Sylvère : Je ne dirai pas que ça me passionne… Je n’ai pas une passion pour « l’objet vélo » ! Je ne fais pas ça pour faire du sport. Galérer sur mon vélo ce n’est pas un énorme plaisir, ce n’est pas ça qui m’a attiré. Le vélo, c’est ce qui fait l’envergure du projet et qui le porte ! Ça nous ouvre des portes qu’on n’aurait pas pu pousser. Par exemple, je peux citer le cas de la clinique de La Borde, un lieu qui fait rêver les professionnels de la psychiatrie. Ils ne peuvent pas y entrer facilement. Nous, on leur a envoyé une lettre en expliquant notre projet et ils nous ont dit « oui » tout de suite. Ça me fait halluciner ! Je pense que les gens sont touchés par cette démarche de jeunes qui prennent le temps de faire tout ça.

Manon : J’adore le voyage à vélo ! Une des choses sur laquelle on était d’accord avec Sylvère, c’était le contact avec la population locale. Le vélo permet d’être au plus proche des gens. On se rend dans des endroits où on ne serait jamais passés en voiture ! Et ça nous permet de prendre du temps entre différentes structures. Nos semaines sont intenses. On rencontre beaucoup de monde, on se met dans la peau de pleins d’acteurs différents. Pour moi, le vélo, c’est un temps qui permet de digérer tout ça. Ce temps passé  la tête dans le guidon nous permet de réfléchir à ce qu’on a vu et de penser à la suite.

 

Vous allez partir en Finlande bientôt, pourquoi ce pays ?

Sylvère : On a choisi la Finlande car elle est mise en avant par tous ! Le système éducatif est  vanté pour sa réussite. C’est toujours les premiers dans tout. Mais on n’y va pas pour la vision du classement ! On a une idée de comment les choses se passent là-bas. Et on a conscience que ce que l’on va découvrir en Finlande se rapprochera de ce qu’on va observer en France. On va voir si c’est totalement similaire. Aller en Finlande, c’est marquer un coup : ce qui est décrié ici et peu considéré (les pédagogies alternatives), c’est ce qui marche là-bas ! Il y a cette idée de dire « Sortons la tête du guidon » ! Si on parle toujours en bien de la Finlande, c’est parce que eux, ils ont beaucoup plus osé que nous sur le plan éducatif !

Pendant votre parcours, il y a une expérience particulière qui vous a marquée ?

Sylvère : Oui dans une classe coopérative, j’en avais beaucoup entendu parlé car ma grande soeur est enseignante là-bas. Elle a certains élèves qui sont en difficultés. Et par sa pédagogie, elle arrive à mettre en place des choses incroyables ! Un matin on arrive dans cette classe. Je m’installe à côté d’un petit. Je commence à parler avec lui, on se rencontre. Il y a quelque chose qui passe entre nous et il s’attache à moi rapidement. C’était un enfant dyslexique qui avait d’énormes problèmes d’oralité. Parler devant les autres c’était compliqué pour lui. Ce jour-là, chaque élève avait préparé une fiche pour se présenter lors notre venue. Ils passaient les uns après les autres devant tout le monde. Cet enfant avait peur. J’étais touché par ce gamin stressé. Il y est allé, il a lu son texte ! On sentait qu’il n’était pas à l’aise. Mais il l’a fait ! Il y a eu un blanc et tous ses camarades l’on applaudit. Lui, il a baissé la tête et il s’est recueilli. Pour moi c’était un moment d’émotion ! Je trouve que c’est représentatif de leur état d’esprit !

Manon : Pour moi c’était au Viel Audon, dans un chantier artistique qui élabore des classes découvertes d’éducation à l’environnement et aussi des chantiers artistiques. On y était pour voir comment une quinzaine de personnes avec des domaines artistiques différents peuvent s’organiser, se mettre d’accord pour créer quelque chose. On s’était réunis pour créer une chanson, pièce de théâtre… On était tous différents et on venait de domaines divers. Parmi nous, il y avait le doyen du chantier. Il faisait de la sculpture sur bois. Le samedi, il y avait un vernissage. Juste avant on a fait un bilan. Cet homme qui a un esprit de sage, qui dégage quelque chose de fort, nous a tous remercié car c’était la première fois qu’il chantait en groupe. Je me suis dit que c’est incroyable ! Le fait qu’on soit là et qu’on décide de s’accorder ensemble pour mettre nos compétences au service des autres, on  arrive à créer quelque chose ! Qui plus est, on peut donner la chance à tous d’apprendre à n’importe quel âge  et de faire des choses qu’ils n’auraient jamais fait !

 

Qu’est-ce que cette expérience vous apporte de manière globale ?

Manon : ça nous apprend à se présenter et à rencontrer des gens. Ce n’est pas si simple de se mettre dans des nouveaux rôles toutes les semaines, de s’adapter à toutes les situations, tous les métiers, tous les publics. On est passé par exemple de personnes porteuses de handicap à des enfants, à des artistes… ça nous demande un gros travail sur nous pour sentir les lieux, les atmosphères, ce qu’on attend de nous. On apprend, on n’arrête pas de cerner de nouveaux dispositifs, des pensées philosophiques, des outils de travail. Moi ça me fait relativiser sur le fait qu’on aurait pu faire le choix de partir en master pour approfondir nos professions. Mais on a choisi de faire un détour buissonnier et d’approfondir la théorie de nos professions en allant chercher l’information qu’on a envie d’avoir.  Et aussi en allant chercher les expériences qui font sens pour nous et nous permettrons d’être acteur de nos métiers ! On peut saisir les outils de travail qu’on va utiliser, devenir critique sur ce qu’on met en place et les projets sur lesquels on s’investit.

Sylvère : Pour l’instant il y a le Le Béal, un lieu de vie pour les personnes en situation de handicap. A ce moment, j’ai vraiment eu la sensation d’apprendre car je n’avais jamais été confronté à ce public ! C’est une expérience où j’ai été déstabilisé. C’est ce que je recherche dans ce voyage. Je n’ai pas encore rencontré une pensée pédagogie qui m’a transcendé à part ici au Béal ! Cette expérience m’a questionné et ça m’a donné envie. Mais pour le moment, ce que j’ai vu dehors ce sont surtout des confirmations. C’est aussi ce que je recherche. Ce sont des choses que j’avais expérimenté avec des élèves donc je ne suis pas dans la découverte. Mais de sentir cette confirmation c’est bon, ça te donne la niaque ! J’ai enseigné 1 an avant ce service civique. Et ça m’a un peu fait perdre la fibre d’être uniquement avec des personnes qui ne sont pas dans cette recherche-là, qui ne sont pas dans un questionnement de renouvellement et d’innovation… Là, de vivre ça au quotidien ça te rebooste ! Je n’imagine pas comment je serai dans 10 mois ! J’ai envie de créer plein de choses, de réunir les gens, de créer un réseau fort pour essayer de faire bouger les choses. Pour l’instant, ça m’a surtout apporté ça comme réflexion : je me suis rendu compte qu’il y avait plein de gens qui avaient des réseaux, qui arrivent à faire bouger les choses. C’est ce qu’on n’a pas, ou très peu dans l’enseignement de la musique… Les gens ne savent pas se rassembler pour l’instant.

Sinon en terme d’apprentissage global, c’est la posture qui bouge sans arrêt, je recherchais ça ! C’est une mise en danger. Tu apportes ce que tu es quelque part et tu te mets en danger car c’est un quelque part que tu n’as jamais vécu. Tu n’es jamais très à l’aise quand tu rencontres quelqu’un. C’est dur d’arriver et de t’imposer ! Cette mise en danger est géniale et je pense que c’est elle qui va nous construire.

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Crédits photos :
Manon et Sylvère
Jennifer Laude

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